Le phare illégal contre un aéroport et son monde

En collaboration avec le mouvement contre l'aéroport

2016

Sur la zad de Notre Dame des Landes, en Bretagne, se dresse un phare désobéissant. Construit loin de la mer, exactement à l’endroit où devait être érigée la tour de contrôle d’un nouvel aéroport international, il est l’un des nombreux actes de résistance créatifs qui ont conduit à l’abandon de ce projet infernal en 2018. Il a été construit en 5 mois par une équipe improbable – comprenant des architectes déserteur·e·s, un ancien jeune SDF, des artivistes, une céramiste, quelques agriculteur·ice·s et un soudeur de génie (employé par ailleurs sur le plus grand chantier naval de France pour construire les plus grands paquebots de croisière du monde).

En janvier 2016, toutes les procédures juridiques contrant le projet d’aéroport ont été épuisées et la construction a reçu le feu vert. Manuel Valls, ex-ministre de l’Intérieur qui avait dû retirer ses troupes de la zad en 2012, est désormais Premier ministre. “Le gouvernement ne cédera pas aux intimidations d’une minorité d’individus, les lois de la république seront appliquées à Notre-Dame-des-Landes comme partout ailleurs” affirme-t-il régulièrement au parlement : la construction commencera dès que tout le monde aura été expulsé.

Le mouvement répond par une série d’actions, allant de 60 000 personnes dansant sur une autoroute à 40 000 personnes prenant part à un rituel déguisé en manifestation, plantant des bâtons dans le sol en s’engageant à revenir les chercher si le gouvernement venait à expulser. À l’automne, juste au moment où l’État est censé arriver avec ses bulldozers, la construction d’un gros doigt d’honneur aux autorités commence. Sur le site même où la tour de contrôle de l’aéroport est prévue, à la Rolandière, un phare grandeur nature de 20 mètres de haut et entièrement fonctionnel commence à prendre forme, pour accueillir le monde au port.

Nous avons trouvé l’inspiration dans des tours rebelles à travers le temps. La vision de Vladimir Tatlin, en 1919, d’un monument en forme d’hélice de 400 mètres de haut à la gloire de l’Internationale communiste, qui n’a jamais été construite, nous a donné de l’ambition. Nous avons puisé notre détermination dans la barricade verticale en métal de 60 mètres de haut érigée à Narita en 1972 par des agriculteur·ice·s, des étudiant·e·s et des militant·e·s pour empêcher les avions de décoller de l’aéroport international de Tokyo, qui faisait l’objet d’une lutte acharnée. De Dolly, un fouillis d’échafaudages volés de 30 mètres de haut avec un système de son techno à son sommet et émergeant d’une rangée de 45 maisons squattées contre la construction de la route M11 dans l’est de Londres en 1994, nous avons acquis l’audace.

Archétypes de l’espoir et du refuge, les phares sont d’anciens outils pour prendre soin des vies et une forme de bien commun : leur lumière est donnée gratuitement à chaque navire pour naviguer en toute sécurité dans la nuit. Résistant aux vagues et au vent, s’étendant entre le ciel et la terre, les phares émergent de l’obscurité au moment où l’on pense être perdu·e et où l’on a envie de rentrer chez soi. Fabriqué à partir d’un pylône électrique coupé, offert par un agriculteur, notre phare est relié par une passerelle en forme de bateau à la bibliothèque, en clin d’œil à la ville mythique d’Alexandrie, ce creuset de marins, de commerçants et d’alchimistes, avec sa grande bibliothèque et son phare. Symbole de confiance et outil de résistance, il est devenu la nouvelle antenne de la radio pirate, plus haute, et à son sommet se trouvait une sirène que l’on pouvait commander depuis un téléphone portable pour la déclencher en cas d’expulsion (et si les flics venaient, nous nous enfermerions dans la structure métallique pour qu’il leur soit difficile de nous atteindre).

L’historienne Kristin Ross a qualifié le phare de la zad d’acte de “luxe communal”.  “Le luxe communal” est une expression qui provient du manifeste radicale de la Fédération des Artistes, de la Commune de Paris de 1871, qui proposait que le luxe ne soit pas l’accumulation privée de choses, mais l’épanouissement de la beauté dans tous les espaces partagés. Comme l’a écrit le géographe Elisée Reclus, “si les peintres et les sculpteurs étaient libres, ils (sic) n’auraient pas besoin de s’enfermer dans des Salons”.

Un court métrage par Le Laboratoire de l’imagination Insurrectionnelle qui suit la construction. Le film a été présenté dans plusieurs expositions, dont Overground Resistance au MuseumsQuartier Wien.